davblog

Paradoxe

de Meiyo

 

Michel Déry avait tout pour être heureux: un travail passionnant et très lucratif grâce auquel il voyageait souvent mais surtout Martine, sa femme.
De ce côté-là, ce cadre brillant avait l'impression d'avoir atteint le bonheur parfait: il l'avait rencontrée à l'occasion d'un cocktail organisé par sa société.
Elle l'avait littéralement ébloui par sa beauté et son élégance naturelle au point que, Michel, d'habitude si à l'aise avec le sexe opposé, en avait perdu tous ses moyens. Aussi l'histoire aurait paru avorter si l'intéressée n'avait pas fait le premier pas. Ils firent ainsi connaissance et, au fil de la conversation, l'homme retrouva peu à peu son assurance habituelle.
La discussion se prolongea jusque tard dans la nuit à son domicile et moins d'un an après, leur rencontre fut consacrée par un mariage.
Bref Michel était persuadé d'avoir la femme de sa vie et l'impatience le tenaillait lorsqu'il rentra chez lui après un voyage d'affaires de trois jours.
Arrivé à destination, Michel l’appela : pas de réponse. Cela lui sembla bizarre, Martine étant censée être rentrée à cette heure-là. Intrigué, il vérifia si elle n’avait pas laissé un message mais ses recherches s’avérèrent infructueuses.

Sujet soudain à un mauvais pressentiment, Michel alla dans leur chambre vérifier le contenu de l’armoire : elle avait pris ses affaires.

                                                 *

Michel marchait depuis des heures, sans regarder où il allait, perdu dans ses idées noires : pourquoi était-elle partie ?
Ils étaient pourtant heureux ensemble. Ils avaient même fait des projets, parler de déménager, d’avoir des enfants, ... Mais en fait, tout cela n’avait été qu’une illusion.
La nuit tombée, Michel, las, finit par se laisser tomber sur un banc. Une voix vint alors le tirer de sa torpeur :

- Ca n’a pas l’air d’aller ?

Le jeune homme tenta de distinguer le visage de son interlocuteur, en vain, car ce dernier se cachait dans l’obscurité.

  - Non, pas vraiment, répondit-il laconiquement.

                     - Vous pensez qu’elle vient de vous quitter, n’est-ce pas ? 

- Comment vous le savez ? ! demanda Michel,  interloqué.

         - Parce que c’est ce qu’elle est censée vous faire croire ...

L’inconnu eut tout juste le temps d’achever sa phrase    qu’une intense lumière bleue les enveloppa tous deux en un instant.

 

         Michel se trouvait maintenant sur une plate-forme.              

     - Bienvenue, M Déry.

               Il reconnut la voix de l’homme du banc. Il regarda dans sa  
 direction.    
        C'était un barbu, qui devait avoir dans les quarante ans et portait   une combinaison grise, tout comme son acolyte, plus jeune, de type caucasien. Ces deux mystérieux individus se trouvaient devant un tableau de commande. Puis, sans cérémonie supplémentaire, ils   l'emmenèrent dans un couloir interminable au bout duquel le jeune cadre espérait retrouver sa femme et peut-être la vérité.
Le trio arriva enfin devant une porte métallique. Le barbu posa alors la main dessus et elle coulissa alors laissant apparaître une pièce peu meublée et modérément éclairée. L'éclairage était toutefois suffisant pour que Michel puisse la voir : Martine était là.
Elle portait une robe synthétique et se tenait au fond de la pièce adressant à son mari un regard que ce dernier ne parvenait pas à déchiffrer avant de rompre le silence :

- Bonjour Michel.

La réaction de l'intéressé ne se fit pas attendre :

- Bonjour Michel ! Tu disparais brusquement sans laisser et c'est tout ce que tu trouves à dire ? !

- Du calme, monsieur Déry. Vous aurez droit à des explications mais il est inutile de s'emporter pour cela, intervint le barbu.

- Qu'est-ce que vous attendez alors ? répondit-il qui tenta de retrouver son calme.

- Soit, enchaîna le grand chef. Sachez tout d'abord que vous n'êtes plus à votre époque mais dans une ère située quarante ans dans le futur.
Michel fut littéralement estomaqué par cette révélation et voulut poser une question mais son mystérieux interlocuteur lui fit signe de ne pas l'interrompre et poursuivit :

- A la fin des années 1990, un phénomène de stérilité masculine est apparu en raison de divers facteurs comme la pollution ou un manque d'hygiène alimentaire. Par la suite, il n'a fait que s'amplifier en dépit des progrès de la médecine au point de menacer l'espèce humaine d'extinction.
L'humanité semblait alors vouée à disparaître jusqu'à ce que je fasse cette découverte : grâce à mes travaux en physique quantique, j'ai mis à jour un moyen de voyager dans le temps et du même coup trouver celui d'assurer la pérennité de notre espèce. Il suffisait d'envoyer des femmes dans le passé et de les ramener une fois l'objectif atteint.

                              - Par objectif atteint, interrompit Michel, vous voulez dire que                             que ... 

- Je suis enceinte, répondit Martine.

Une fois de plus son mari fut cloué sur place par la surprise. Non seulement, il venait d'apprendre que sa femme attendait un enfant mais en plus qu'il avait été le jouet d'un plan rôdé depuis longtemps.
Il n'y avait jamais eu de sentiment dans leur relation ni de hasard dans leur rencontre, tout avait été soigneusement préparé dans une manigance ou il n'était qu'un pion ou plus exactement un étalon. Tentant de se remettre de sa surprise, il interrogea de nouveau le barbu, un point continuant de le tracasser malgré ces explications pour le moins surprenantes :

- Tout ça est très clair mais je ne comprends toujours pas ma venue ici.

- Certes, il n'est pas dans la procédure habituelle de transférer les donneurs mais si cela a été exceptionnellement autorisé c'est parce que ...

- Je le lui ai demandé, poursuivit Christine en l'interrompant. Puis, elle se tourna vers son mari comme pour l'implorer :

- Quoique tu puisses penser en ce moment, si je l'ai fait, c'est parce que pour moi, tu représentes beaucoup plus qu'un donneur de gamètes.

Mais ce dernier, loin de se laisser attendrir par cette nouvelle remarque, s'en pris violemment au barbu :

- J'en ai rien à cirer de l'avenir de l'humanité ! Martine porte mon enfant et il est hors de question que je le laisse ici !

La réponse du savant fut encore surprenante :

- Calmez-vous. Bien que cela ne fasse pas non plus partie de nos habitudes, il est, pour une raison vitale à notre survie, essentiel que vous repartiez à votre époque avec votre femme avant la naissance de votre enfant. Micha va d'ailleurs vous raccompagner jusqu'à la salle des transferts.
Sur ces derniers mots le caucasien escorta le couple jusque dans la salle où Michel était arrivé et quelques minutes plus tard une lumière bleue éblouissante les ramena dans le passé.


                                      *

 Michel finit par pardonner à Martine ses mensonges et neuf mois plus tard elle donna naissance à un petit garçon qu'ils prénommèrent Eric.
Cependant, en dépit de ce bonheur retrouvé, le jeune père ne cessait de s’interroger : quelle raison impérieuse avait bien pu pousser le barbu, en dépit de règles bien établies, à les ramener à leur époque
La réponse à cette question lui apparut un jour il l'emmenait son fils jouer au parc.
Michel s'était assis sur un banc pour lire un magazine en jetant un coup d'oeil régulièrement sur sa progéniture en train de jouer dans un bac à sable, lorsque quelqu'un vint se mettre à côté de lui. Il avait alors machinalement tourné la tête et avait reconnu un visage familier: le barbu !


- Vous en avez pas marre de me faire des surprises !? lança Michel derechef, à la fois étonné, irrité et intrigué par cette nouvelle apparition.

- Je suis juste passé pour  vous dire au revoir.

- C’était pas la peine de faire un bond de quarante ans dans le passé pour si peu.

- Au contraire c’est quelque chose de très important pour moi ... Papa.

 

                                               FIN

***

FIN DE LA PAGE